Je connaissais bien le Ladakh l’été pour y avoir passé plusieurs mois consécutifs chaque été de 2004 à 2010 mais le Ladakh en hiver était un vieux rêve longtemps resté inassouvi jusqu’à ce que me soit donné l’opportunité de partager le quotidien d’une famille ladakhi une semaine au coeur de l’hiver dans un village de 600 âmes à plus de 4000 m d’altitude.

De la capitale indienne au village ladakhi
Le vol d’1h20 depuis Delhi (seul moyen d’atteindre le Ladakh depuis la capitale indienne en hiver) n’est pas aussi spectaculaire qu’en été mais un survol de l’Himalaya vaut toujours le détour.
Les montagnes immenses, hostiles et dépeuplées laissent place à quelque forme d’humanité lorsque l’on commence à survoler le Ladakh. On aperçoit ça et là, parsemés, quelques villages installés le long de la rivière, bordés par une myriade de petits champs.
A l’approche de Leh, la ville principale, toute trace de neige disparaît, seules les montagnes environnantes en sont recouvertes. Leh est une bourgade généralement ensoleillée et ventée, et bien que perchée à 3500 m d’altitude, la neige ne tient pas.





En route vers le village
Le village où l’on m’attend est à 2h30 de Leh et j’apprends en arrivant que le bus censé m’y emmener ne fonctionne plus depuis un mois suite à de fortes chutes de neige qui lui rendent la route impraticable.
Je mets une bonne heure dehors par des températures négatives à trouver un chauffeur ayant un 4×4 équipé de chaînes qui accepte de m’y emmener. La route défile dans un paysage beau et blanc.
Arrive le moment fatidique du chaînage. Sonam chaîne en moins de 5 minutes tout en prenant soin de serrer les chaînes avec des cordes, car ici les chaînes ne sont pas adaptées aux différentes marques de voiture.




L’arrivée au village
Après 45 minutes de montée, le grand Bouddha doré qui surplombe le village est en vue.
C’est dans l’une de ces maisons, du plus pur style ladakhi, au pied du Bouddha et à plus de 4000 m d’altitude que je vais passer ces quelques jours de janvier.






Je profite de l’après-midi pour faire connaissance avec mes hôtes d’autant plus aisément que le grand père, dit « mémé » (grand père en ladakhi) ancien maître d’école, et sa petite fille Tsering, qui va à l’école à la ville, parlent anglais.
Le supplice du coucher
Dehors il fait moins -22° et pas beaucoup plus chaud dans ma chambre protégée par de fines fenêtres, elles-mêmes recouvertes d’un plastique.
Moi qui aime tellement aller me coucher et m’endormir je comprends rapidement que contrairement à ce que je pensais le moment du coucher va être le moment le plus éprouvant de mes journées ici car dans ma chambre il fait entre -5 et -10 degrés !




C’est au bout de 30 minutes dans le sac de couchage que ça se corse. J’ai si froid que j’ai l’impression de camper. Je dois avouer que malgré ma bouillotte, 2 pantalons,1 damart, 4 pulls, un sac de couchage, 4 couvertures , 1 bonnet, 2 écharpes et des gants, j’ai chaque soir lutté pendant plus de 2 heures pour trouver le sommeil trop secouée de frissons.

Au rythme des journées d’hiver
Le sommeil enfin trouvé les nuits se déroulent sans encombre et les journées sont ainsi rythmées: 8h réveil en douceur, je me change dans mon sac de couchage avec mes habits déjà chauds puisque je prenais soin chaque soir de les déposer à mes côtés dans le sac.
Puis petit thé chaud en bas préparé par les grands-parents dans l’un des nombreux thermos de la maison.

Une fois le thé englouti il faut se mettre à enlever la neige tombée sur les 3 toits terrasses pendant la nuit et pas question de se débiner si pépé et mémé âgés respectivement de 72 et 73 ans s’y mettent ainsi que la petite Tsering de 11 ans, il serait mal vu que je ne fasse pas de même.
D’autant plus que ne pas enlever la neige sur le toit serait prendre le risque que le poids de la neige fasse craquer la frêle construction de la maison. Dans les villages ladakhi tout le monde doit mériter ses repas.



Vers 10h30 c’est la pause petit-déjeuner, les locaux prennent ce qu’ils appellent une « soupe »: mélange de thé, beurre, fromage de dri (femelle du yak), qu’ils mélangent à la main avec le la tsampa (farine d’orge grillée) jusqu’à en faire une pâte qui puisse être consommée sous forme de boulette.


On retourne ensuite finir d’enlever la neige sur les toits jusqu’au déjeuner et en général c’est mémé (donc papy) qui cuisine car il adore ça (avec sa touillette en forme de spaghetti)…

Une fois les corvées urgentes accomplies, le programme est libre. Repos, tissage, cardage de la laine…moi je préférais aller dehors (moins froid qu’à l’intérieur car même sans soleil les UV chauffent un peu à travers les nuages) jouer avec les enfants (l’hiver au Ladakh est synonyme de grandes vacances car il fait trop froid pour aller en classe).
Tsering, sa copine Angmo et moi déambulons dans les rues enneigées du village, déambulation agrémentée de ragots locaux dont je suis friande.












Les filles aiment me faire entrer dans les maisons abandonnées, qui ont toutes appartenues aux ancêtres du village, délaissées par les générations suivantes qui ont préféré faire construire tout près, et dont elles connaissent la cachette de toutes les clés.


Puis un peu de « eskate » -avec l’accent local- fabrication artisanale et croisement entre luge et patin à glace agrémenté de petits bâtons dont on se sert pour freiner.


Nous rentrons ensuite à l’intérieur dans la pièce principale où j’en profite pour lire avant de dîner tous ensemble autour du poêle, allumé seulement de temps en temps, qui fonctionne à l’aide de quelques branchages mais surtout de bouses de yak, le principal combustible de la région.



Les nuits suivantes il neige beaucoup et tout le village est recouvert d’une épaisse couche de neige



Même les vêtements censés sécher ne sont pas épargnés…



Genévrier millénaire et la peur des loups
Un après-midi les filles veulent me montrer le plus vieux genévrier du village, l’arbre serait aussi vieux que le Bouddha. Nous nous mettons en route dans les rues désertes.


Comme souvent notre chemin est barré par des dzo, mélange de yak et de vache, qui circulent librement dans le village et me font toujours un peu peur.


Les hommes savent comment les écarter en leur lançant de petites pierres et en criant d’une certaine façon, mais les filles et moi avons la trouille de ces monstres de 700 kg et préférons toujours les contourner quitte à devoir nous enfoncer dans la neige profonde.


Débarrassées des dzo, j’organise mon activité préférée: leur faire faire des sauts et les prendre en photo en action, cela déclenche toujours de grands éclats de rire




Puis nous continuons d’avancer seules dans la neige et l’immensité vers le genévrier doublement millénaire.



Les petites fatiguent et alternent pauses et batailles de boules de neige.



Nous atteignons enfin Ama Shukpa (la mère genévrier), protégé par un grillage et des drapeaux de prières.
Le genévrier joue un rôle important dans la culture bouddhiste, la combustion de ses branches ayant un rôle purificateur.

Au même moment nous apercevons le grand père venu nous chercher, prévenu par des villageoises que 5 loups affamés ont été vus en train de rôder près du village quelques heures auparavant. Il s’inquiète.

Nous rebroussons donc chemin et mémé en profite pour m’expliquer qu’il faut toujours partir avec une boite d’allumettes afin de pouvoir mettre le feu à des branches en cas de rencontre avec un animal sauvage de la région (dans ces zones le loup et le léopard des neiges causent bien des dégâts).


Nous regagnons le village où trône Bouddha, enneigé.


Quand le soleil se montre enfin
Le lendemain et les jours suivants le soleil se montre enfin, mais il a encore neigé pendant la nuit et il va encore falloir déneiger.

Le ciel couvert jusque là laisse place à un spectacle que je ne soupçonnais pas: la magnificence des montagnes environnantes dont l’époustouflante chaîne du Zanskar en guise de toile de fond.
Dans un tel contexte l’opération déneigement quotidien recèle un goût encore plus savoureux.







Après le déjeuner Angmo et moi partons nous promener au village, et pour changer la route est encore barrée par un groupe de dzomo et leurs petits.

Elles ne sont pas trop grosses, nous oserons donc pour une fois traverser le gang de bovins.



Nous rejoignons Tsering et Norbu qui « eskatent » avant qu’une autre séance de « sauts » soit réclamée.




Nous décidons ensuite de remonter au grand Bouddha. Près du Bouddha les enfants allument des bâtons d’encens et des lampes à beurre (offrandes de lumière).



Du grand Bouddha la vue sur le village est imprenable !





Nous descendons ensuite faire un tour vers la rivière gelée et enneigée.

Et en chemin nous apercevons un panneau qui indique les différents animaux de cette vallée: bouquetin asiatique, mouflon du Ladakh, marmotte, lièvre, loup tibétain et mon préféré absolu: le léopard des neiges !

La balade continue au milieu des stupa (reliquaires bouddhistes) et inscriptions sacrées.








Dernier jour
Pour mon dernier jour rebelote, si les toits sont maintenant déneigés et qu’il n’a pas reneigé dessus il faut néanmoins dégager le tchumpo, les herbes coupées et séchées soigneusement entreposées sur les bords de toits l’hiver, seule nourriture possible pour les dzo, moutons, chevaux, ânes, mules etc…





Après cela, mémé lui, en profite pour faire une petite provision de bois, rare dans cette région et utilisé avec parcimonie.

Moi je suis chargée de ramener le bois.

La grand mère est elle chargée d’installer l’herbe dans l’étable de la dzomo


La jeune Tsering a quant à elle décidé de se laver ! (Sachez qu’il n’est absolument pas courant dans ses régions de se laver intégralement en hiver).
Réchauffée par son seau d’eau à peine tiède, c’est pieds nus et sans manteau qu’elle vient faire sécher ses cheveux au soleil qui commencent à geler en moins d’une minute !!!

L’après-midi de mon dernier jour est encore une fois consacré à la promenade, et j’en profite pour immortaliser les nombreuses perdrix que l’on voit et entend chaque jour ainsi que les quelques pigeons qui forcent mon admiration car je ne m’attendais pas à les trouver à presque 4000 m d’altitude par -22° !


Je fais également mes adieux à mon petit veau et mes deux moutons préférés.

Les filles s’amusent à poser avec des cornes de bouquetins trouvées au détour d’une ruelle.

Un énorme dzo squatte encore la rue et je suis surprise de voir que les femmes du village lui cèdent elles aussi le passage avant de se faire appâter par un homme avec une botte de paille histoire de le dégager temporairement du chemin.


En fin d’après-midi mon regard se porte une dernière fois vers la chaîne du Zanskar, dans le décor le plus pur et le plus silencieux que j’ai jamais connu.


L’heure est venue de quitter ces gens et ce village où les heures s’égrainent lentement et simplement mais sans ennui.
Ma gorge et mon coeur se serrent.
Heureusement il y a des moments suspendus au goût d’éternité.
Extra le Ladack en hiver comme je te l’ai dit j’y suis allé en ski de rando nous étions les premiers étrangers qu’il voyaient depuis le mois de septembre ,dommage que la photo numérique n’existait pas !
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