Divorcer en Inde n’est toujours pas dans la norme
Pour vous donner une idée, le taux de divorce en Inde est de 1%, contre 45 en France. Vous l’aurez compris même en 2020, ce n’est toujours pas quelque chose qui se fait. Ayant moi-même contribué à ce taux de 1%, je vous partage mon expérience.
Attention, elle est à remettre dans son contexte: cela remonte à 2012, dans la ville de Darjeeling, petite ville de l’Himalaya indien, célèbre pour son thé
Se décider sur une date de divorce
Si nous sommes restés 7 ans ensemble (de 2004 à 2011), mon ex-mari et moi n’avons pas été mariés bien longtemps. Nous nous sommes mariés en 2010, séparés en 2011, divorcés en 2012.
Nous aurions pu divorcer plus vite mais un mariage de trop courte durée aurait pu induire un quelconque problème chez mon ex mari (qui n’en avait aucun) et nuire à la reconstruction de sa vie future, ainsi vont la vie et les ragots dans les petites villes indiennes…Nous avons donc fixé une date de divorce qui nous semblait juste: le 1er novembre 2012, (soit après plus de 2 ans et demi de mariage).
Entretien avec l’avocat
On ne divorce pas comme ça en Inde. Il faut au préalable trouver un avocat qui accepte de se charger d’un divorce. Il faut également se farcir le sermon de celui-ci qui vous exhorte à reconsidérer votre décision, puis qui vous explique ensuite que dans votre cas (mariage mixte) de toute façon ça ne pouvait pas marcher qu’il n’aurait donc pas fallu se marier, que l’on cause du désagrément à tout le monde bla, bla, bla…
Un divorce par consentement mutuel en Inde n’est pas tel que nous l’entendons nous
L’avocat nous explique ensuite que pour que le divorce par consentement mutuel soit accordé il faut qu’il réponde à certains critères car en Inde ne plus vouloir être ensemble n’est pas un motif suffisant pour divorcer.
Il faut donc trouver une liste de griefs qui tiennent la route -en Inde- pour que le divorce soit accepté par le juge. Exemples: nous ne sommes pas compatibles car je ne suis pas une bonne femme d’intérieur, que lui n’est pas un bon mari car il me néglige…ce genre de choses.
Il faut également prouver que nous n’habitons plus ensemble depuis plusieurs mois, ce qui est faux au moment où nous faisons notre demande, il va donc falloir pipeauter pour tout.
Convocation au tribunal
Les mois passent et la convocation arrive. N’ayant jamais fait retranscrire le mariage pour qu’il soit valide en France et ayant entre-temps déménagé à Genève et je reviens en Inde pour l’occasion. Nous nous étions mariés à Darjeeling, nous divorcerons à Darjeeling.
Divorce en audience publique au tribunal de Darjeeling
C’est heureux de se retrouver, avec émotion mais sans stress, qu’avec celui qui est encore mon mari pour quelques heures, nous nous rendons au tribunal de Darjeeling pour y retrouver notre avocat, pensant que nous allons être reçus dans le bureau d’un juge à huis clos et que l’affaire va être vite réglée.
Mais c’est là que ça devient comique (on a tout de suite pris le parti d’en rire) c’est que l’on comprend rapidement qu’il n’est ni question de bureau ni de tête à tête avec un juge mais d’une audience publique au milieu de repris de justice divers et variés.
La petite salle d’audience est pleine à craquer et tout le monde se retourne pour savoir ce que la blonde peut bien faire là. Mon mari me fait remarquer-avec beaucoup d’humour « qu’il y a plus de gens à notre divorce qu’à notre mariage ».
Des audiences ubuesques pour moi mais habituelles pour eux
Nous ne sommes pas les premiers à passer et nous écoutons défiler les audiences menées par un juge qui fait des blagues, des avocats dépenaillés en robe froissée, qui rotent et gloussent allègrement au nez de leurs clients, dans une salle d’audience glaciale et blafarde au sol jonché de mégots, le tout entrecoupé d’incessants va-et-vient.
Au bout de 2 heures, la majorité des cas ayant été traités le juge sort de la pièce sans rien dire. Il revient 1h plus tard, il était parti manger…c’est ce qui m’a permis de prendre cette photo de la salle d’audience.

Entre voleurs de vaches et dealers
Restent encore les cas d’un voleur de vache et d’un dealer avant que nous passions. L’audience surréaliste du dealer est restée gravée dans ma mémoire: le gars comparaissait libre, inculpé depuis 1995 (nous sommes en 2012). Le juge lui demande s’il plaide « guilty or not guilty ». Le dealer plaide « not guilty » et tenez-vous bien le juge remet la prochaine audience du dealer au 29 novembre 2016 ! soit 21 ans après avoir commis le dit délit…et moi qui croyais que la justice française était lente !
Divorce prononcé
Notre divorce a fini par être prononcé au bout de 3h30 après que nos pseudos reproches aient été énumérés par notre avocat. Nous n’avons heureusement pas eu à nous rendre à la barre et sommes sagement restés assis au fond de la salle. Pour ne pas rester sur cette note, mon ex-mari m’a ensuite invitée à déjeuner et ses parents nous ont ensuite rejoints à mon hôtel pour boire un thé et me faire leurs adieux.
Happy divorce et happy end (déjà rare en France mais encore plus en Inde)
Mes ex-beaux parents et moi pensions à ce moment-là ne jamais nous revoir (l’éloignement géographique, leur âge avancé, ce pays que je pensais laisser derrière moi…) mais je sous-estimais à l’époque la délicieuse emprise que l’Inde continuerait d’avoir sur moi et l’ouverture d’esprit extraordinaire de ces gens-là et ne me doutais pas que 4 ans plus tard, après avoir chacun refait nos vies, nous déjeunerions tous les quatre dans l’appartement parental de Darjeeling (photo ci-dessous).
